Julien Gagnon présente une histoire de chute:


La descente

Partie II

  • Te souviens-tu du pacte que l'on a fait?
  • Un peu.
  • On s'est promis de ne jamais se laisser.

Elle crie.
Je plonge tête première vers le néant, dans le Void de Gaspar Noé, dans mon imaginaire difforme, différentiel, décalé. Dans le glacial.

Je mâche la nuit, respire la noirceur.

Je danse dans la couleur au rythme du stroboscope vibrant. La répétition, l'insistance de l'image et la déflagration des neurones. Un arc-en-ciel de couleurs psychédéliques m'inonde.

Elle m'a eu. Je tombe, suffoque et vomis mon corps hors de moi. Le dedans devient le dehors : inside out.

J'habite l'espace, le vide dans lequel j'ai plongé.

Je suis mieux. Je comprends qu'il me fallait un choc, de l'apesanteur. Pour réaliser.

Qu'il fait froid, mais qu'il fait moi.

Je suis mon plongeon. Je suis symboles, rotations et tornades.

J'éjacule le plaisir de ma dégringolade. L'amour ici n'est pas génital, il transcende le néant.

Je me mets au monde, m'accouche, vibre et m'immerge pour ne jamais retomber.

Je reste en suspens. Dans l'eau stagnante qui pue le répugnant. Au-delà des océans gelés.

Je suis sur pause.

Comme une immense bouteille de ketchup qui refuse de couler.
Comme un satellite qui tourne en rond sans jamais piquer vers le sol.
Comme un pop-sicle bleu-blanc-rouge qu'on ne peut séparer en deux.
Comme un enfant ébahi qui retrouve son château de sable détruit par la mer un dimanche matin à la plage.

Tant d'efforts en vain, tant de misère, tant de frissons. Plus un son.

Le temps s'arrête.

Elle est ma destruction. Je ne cherche rien et je ne trouve aucune réponse.

Normal.

Je flotte. Je flotte après flotte.

J'affronte le néant avec un sourire senti. J'aime le détail, le peu de choses, le rien.

Et prends conscience de cette chute interminable.

Cette éternité qui me picosse le dos. Comme une femme que je devrais apprivoiser.
Léonie.
Elle me caresse au ralenti. En slow motion. Elle me suit dans ma chute.

Les interminables minutes s'alignent, le temps se mêle et la chute continue. Elle se concrétise.

Je me masturbe devant elle. Elle hurle. Elle hurle de douleur image par image. Elle ne peut concevoir ma nudité. Si vive, elle n’est entourée de rien. Une simplicité pure, sans décor, sans maquillage. Le sexe porté vers le haut grâce à la gravité. Une érection spatiale. Le vrai moi, la vraie chair rose à sa plus simple expression. Je ne suis pas cinéma. Je suis ce que je serai.

Le néant nous affecte, nous tourmente. Nous le pénétrons, il nous entoure. Rien n'est séduction. Et son rugissement qui cille dans mes oreilles.

Elle regarde le vacant qui défile autour de nous, l'air si triste, maussade, détruit.

Le soleil se couche-t-il aussi dans le void?

Elle me dit :

  • Te souviens-tu du pacte que l'on a fait?
  • ...
  • On s'est promis de ne jamais se laisser.


Je ne la crois plus, je ne la crois pas. Pas aujourd'hui. Elle ne peut s'enfuir, elle ne peut que brailler. Nous tombons, nous tombons tous les deux dans la nuit. Dans le noir qui nous piétine. Elle voudrait le cueillir comme un bouquet ou mourir simplement.

Ce n'est pas une bonne idée, pas ici. Pas dans la chute, ni dans ce vide. Qui sait où nous atterrirons? Qui sait seulement ce qui nous attend? Mieux vaut être vivant.

Une onde cosmique me traverse. Elle résonne jusque dans son sexe à elle. Elle cogne dans nos têtes. On se connaît. Je l'ai déjà croisée un jour d'amertume.

Si j'avais une basse, un orchestre. Ils joueraient pour accompagner notre descente.

Notre chute vers l'abysse.


Mais Léonie la femme-éternité, la femme-toupie ne saisit pas la raison de notre course. Elle voudrait du tangible. Elle voudrait une famille, un enfant, une maison, une vie stable, une assurance salaire, un décorateur intérieur, un chat, une belle-mère. Elle s'accroche à ce qu'elle connaît.


Nous n'avons que l'accélération de nos deux corps. Le point de fuite, la perspective qui converge vers le bas. Et son cri.
Elle me dit :
  • Te souviens-tu du pacte?
  • OUI, je me souviens. Tu le répètes comme l'obsession qui te tourmente. Tu le répètes comme si c'était là la seule réponse à notre chute. Je n'y suis pour rien. L'enfoncement est inévitable. Je suis victime, je suis victime de toi.

N'est pas peur...

Elle rétorque :
  • Tais-toi. Cette course te monte à la tête.
  • Non, la chute me descend au cerveau.

Elle rit.
Et cette vitesse qui me ronge. Les cheveux en bataille. Je ressemble à un hélicoptère, un astronaute perdu.
Elle me donne un bec sur le front. Elle me mouille les lèvres. French kiss.

  • Je me souviens. Oui, nous avons promis jadis. Mais qu'est-ce que cette promesse maintenant qu'il ne reste rien? À quoi bon?
  • Je ne sais pas.
  • Mais qui le saura si ni toi, ni moi nous ne le savons? Qui saura? Qui? Qui? Qui? Et quand?

Ni elle, ni moi nous ne parlons à présent. Plongés dans le regard de l'autre. Hypnotisés.
Le void nous avale.
La vague nous emporte.

Nous t
            o
              m
                   b
                        o
                              ns.