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On m'a parlé d'un endroit secret
D'un instant d'absence
D'une fumée partagée entre amis
D'une longue chute vers le dedans
De la fuite, d'un cri unique

De lui inconscient couché contre la porte
D'eux qui le regardaient, ébahis
De l'interrogation
Et la suite?

Des stigmates inconnus sur le bras
Cicatrice d'un voyage à travers les portes de l'astronomie

Errant, l'espace d'un instant
Fragile, une ville nouvelle

Dallas, 1994


Banlieue stérile
Traverser les bungalows
Déranger la vie paisible des familles modèles
De la classe moyenne
C'est la fumée qui, en colonne géante
S'élevait au-dessus de la ville fantasmée
Il y plonge de tout son être
Dans un tourbillon céleste
Visions chamaniques
Couleurs stroboscopiques

Rencontre avec les rabbins
Autozygotes
Les kasher fous
Qui voulaient le saigner
Selon la méthode ancestrale
Le manger en shish-kebab
Le rôtir
De tête en queue
Habillés de sangsues
Qui claquaient des dents sur le tempo
clac-clac-clac
Ils l'ont pourchassé

Dallas 1994

Une ville dangereuse la nuit

La semaine de la pluie


 Dehors le temps des chiens
Des spirales crues
Des bicycles à gaz
Des gorilles zinzins
De la tempête sévère
De la bière mexicaine
De la chaleur suffocante
Du salami au poivre
Des poils de canards
De la fanfare odorante
De la fumée de charcoal

L'odeur de l'urine de la classe moyenne
Les escaliers qui n'en finissent pas de monter
Les étoiles invisibles
La distortion électrique
Les balcons de la métropole
Les angoisses du matin
Le sentiment de nager sur la musique
Le fond des choses
Les nageurs olympiques

Et les gangs de rue




À la douce Céline




Toi, rebelle, corail, yeux émeraudes, gitane
Porte chaque jour la douceur du matin
Pour que se love sur le tissu de ton visage
Les larmes blanches de notre baiser

Constantinople sous les flammes


Constantinople sous les flammes


Constantinople brûle sous le vent glacé de l’hiver
Les rues en cendre grelottent
La brise siffle
Les esprits s’allument

Constantinople sous les flammes
Grince la nuit fragile
Les silences endormis

Sortez, marchez

Vers l’aube tranchante
Vers la psychose des gens heureux

Alors tremblera l’heure de liberté
Dans les décombres de nos incantations 






Écoutez la chanson du Papadum Fuzz Orchestra ICI

Dare-Dare


Montréal hurle la venue du soir.

La ville nomade éclate sur la nuit longue, dans la foule criante qui nous emporte.

Dérive le faisceau des paillettes.

À travers le tournis, tu m'appelles, porté par le flot.

Jamais nous nous reverrons.

Il n'y aura que le débordement, le mouvement, toi et moi coeur battant.

À contre-courant, les signaux invisibles murmurent notre rencontre.

Langue contre mienne, tu me parles d'envolée, de voyages urbains.

Camper sur la place pour une vie meilleure, pour la transformation.

Oser l'ailleurs des possibles, nous sommes le festival, l'euphorie de la révolution.

Le jour de la cagoule


Le jour de la cagoule ou
les mésaventures de Léonard Thomas


Dehors, un matin urbain soufflait dans les avenues désertes de la mégapole. Le ciel rose et la brume pesaient sur la cité. Des arbres nus abritaient les pigeons vétérans qui résistaient à l'hiver glacé. Au loin, les édifices immenses se perdaient dans la purée de pois de laurore. Trop mince et trop longue, la petite maison de monsieur Thomas détonnait sur l'horizon.

* * *

En se réveillant une heure trop tard, le fonctionnaire avait pressé le pas pour accomplir sa routine quotidienne. Le café bousculé, dilué et trop chaud. La douche brève et glaciale et le déjeuner englouti sur le coin du comptoir. L'ordre qui régnait dans la vie de Léonard venait d'être chamboulé. Malgré son empressement, il consentit à shabiller avec goût en choisissant une cravate assortie à sa chemise ainsi que des boutons de manchette dans les mêmes tons. Il préconisait les teintes de gris ce qui s'harmonisait avec sa personnalité conventionnelle et rangée. Cette couleur lui allait bien et lui donnait un air sérieux. Il aimait.
Par ailleurs, il lui arrivait parfois de soffrir un complet rayé, mais n'osait que très rarement le porter au travail pour ne pas être remarqué. Léonard avait un faible pour les souliers bruns. C’était son dada, son fétiche, son fantasme. Il les avait toutes: les chaussures en suède, en cuir brossé, en cuir poli, en cuir souple, en crocodile, en serpent, en velours, en lézard, en autruche. Des mocassins, avec ou sans lacet, avec ou sans couture. Des loafers, des bottines, des élégantes, des prestigieuses et des confortables. Il les collectionnait et en prenait grand soin. Tous les jours, il les cirait et les frottait en rentrant du boulot comme si sa vie en dépendait.
Avant de mettre le pied dehors, l'homme contempla sa solitude. Elle était lourde, plus qu'à l'habitude. Il remarqua un chapeau rouge déposé au centre de sa table de cuisine. Cétait en quelque sorte le début de la fin. D'abord, monsieur Thomas se sentit intrigué. « Mais enfin ! » s'exclama-t-il haut et fort. Qu'est-ce que ce chapeau pouvait bien foutre chez lui? Pourtant, il n'avait pas reçu d'invités la veille et n'avait jamais eu de pareil couvre-chef. Étrange. Quel genre de mauvais tour lui avait-on joué? Vraiment, il ne voyait pas qui avait eu une telle audace à son égard. Quelle insolence!
C'est que cet homme n'avait pas d'ami, pas d'enfant, pas de femme ni de maîtresse, pas d'intérêt pour les relations interpersonnelles qu'il trouvait ennuyeuses et pénibles. Il était seul au monde, bien rangé et cet intrus sur sa table immaculée, le dérangeait au plus haut point.
Il avait fallu qu'on entre par une porte ou une fenêtre pour déposer ce monstre au centre de la pièce maîtresse de sa demeure. Or, il n'y avait aucune marque d'intrusion, aucune faille, aucun désordre. Pas la moindre trace d'un envahisseur. Abandonnant l'idée d'arriver à l'heure à la grande et prestigieuse société où il travaillait, il s'assit sur une chaise pour mieux réfléchir. Avait-il des opposants? Connaissait-il des truands capables dun tel acte de vandalisme? Puisqu'il n'avait aucun ami, le coup avait sûrement été l'œuvre d'un ennemi. Ça semblait logique, implacable. Un principe de déduction tout à fait rationnel. Or il avait beau chercher, il ne se trouvait guère d'adversaire. Personne. Il n'occupait pas un poste convoité au travail; il était neutre et rarement se mêlait-il de telle ou telle question qui soulevait les passions. Il aimait la pétanque, les geais bleus, les choux de Bruxelles, il avait tous ses points sur son permis de conduire et était membre de deux clubs de golf privés. Il donnait, de façon bisannuelle, de largent à des organismes caritatifs pour venir en aide aux plus démunis. Qui diable pouvait le détester autant et l'inonder de la présence outrancière de ce gêneur? Parce que oui, ce chapeau était sans précédent. Le rouge flamboyant appelait le chaos et l'anarchie. C'en était trop.
Il devait attraper le taureau par les cornes et confronter la bête qui le narguait. Établir un plan pour se départir de ce trouble-fête. Il n'éprouverait aucune pitié et mettrait fin à cette supercherie. À mort l’inconnu!
Il décela une force qui émanait du tromblon. Malgré ses résolutions guerrières et ses intentions les plus ignobles envers l’étranger, Léonard resta figé. Il entra peu à peu en communion avec le quidam. Il se sentit aspiré par l’énergie que diffusait l'objet.
Aucune catastrophe naurait pu détourner son attention de ce mystère doccasion. Des bombes auraient pu pleuvoir, un séisme détruire sa petite maison, rien naurait su interrompre la transe dans laquelle il était plongé. Cest malgré lui qu’il ôta frénétiquement ses habits. Il devait se débarrasser à tout prix des artifices, faire le vide. Finalement libéré, il resta immobile devant la pureté de l'artéfact. Le soleil emplit la pièce : un rayon divin. La blancheur de sa peau faisait contraste avec la rougeur splendide de la bête. Des fils dorés et torsadés ornaient la silhouette du feutre. « Cest un sacré beau spécimen », se dit-il. Il avait raison.
Il se tint nu devant la glace, le sourire aux lèvres, les yeux braqués sur lélégance quil avait avec ce chapeau sur la tête. Quelle classe, quelle distinction! Son opinion envers le nouveau venu changea brusquement. Grâce à lui, il serait sans doute invité à toutes les soirées mondaines. Il serait promu et on l’aimerait pour ce qu’il est. On le reconnaitrait dans la rue. On l’appellerait par son prénom et on lui achèterait des fleurs à l’occasion. Il pourrait doubler les autres clients à l’épicerie et l'on remplacerait enfin la machine à café pourrie de son bureau.
L’ennemi devint soudain l’allié. Il le domptait et le flattait pour en tirer le maximum de satisfaction. Comment le présenterait-il à ses collègues? Il devrait sans doute mentir sur la nature de leur rencontre. Ou encore, insister sur le caractère miraculeux de l’apparition, sur le don céleste qu'on lui avait fait. Monsieur Thomas s’agenouilla et pria. Les circonstances nécessitaient un comportement exceptionnel. Il remercia le Bon Dieu de sa générosité. Il le questionna: pourquoi avait-il attendu tout ce temps? N’aurait-il pas pu lui envoyer cette délivrance quelques années auparavant? La route avait été tortueuse, mais enfin il était récompensé adéquatement.
Il réalisa soudain qu’il était nu comme un ver à chou dans sa cuisine à rendre grâce au Seigneur. Il se trouva indécent et monta à l’étage afin d'arborer une tenue digne de son sauveur. Il sortit de sa chambre avec son plus beau costume, se rendit devant le miroir et ajusta la couronne sur sa tête. Magnifique.

* * *

Le paysage était sombre à l’extérieur. Les gens criaient. Des lueurs rouges éclataient dans les cieux. On le bousculait. « Enlevez ce chapeau, il faut tous les brûler au plus vite! » Monsieur Thomas était stupéfait. Qui était donc ce prophète de malheur? Pourquoi parlait-il de mettre au bûcher l'idole qu'il venait d'acquérir? Au bout de la rue, il aperçut une jeune fille crouler sous le poids de dizaines de chapeaux. Elle pleurait et suffoquait. Une voix s'éleva: « Ne restez pas planté là, mon vieux. Agissez »! L’action défilait trop vite pour Léonard qui avait l’habitude de tout calculer et de tout planifier.
Une nouvelle vague de bonnets tombait du ciel, parachutés. Des pourpres, des carmins, des écarlates, des rouges sang. Une vraie escadrille fonçait sur la population en panique. Les couvre-chefs s’accrochaient au crâne des passants qui hurlaient. Où étaient l’armée, les tanks et les missiles quand on avait besoin d'eux? Les soldats devaient encore reconstruire des écoles aux quatre coins du globe en laissant dans la terreur des milliers de familles envahies. Le bureaucrate se fraya un chemin parmi les casquettes, les hauts-de-forme, les bérets, les turbans, les melons, les cow-boys, les cagoules et les casques de construction. Son tromblon sautillait sur sa tête et prenait peu à peu le contrôle de ses mouvements. La démarche de monsieur Thomas devint de plus en plus maladroite. Il piétina les victimes jonchées sur le sol. Le carnage était total. Sa tête se mit à tourner et il sentit ses tempes rompre sous l’assaut du couvre-chef. Il trébucha, mais continua à ramper en direction de son entreprise. Le directeur l’attendait.

- Léonard, vous êtes en retard!
- Par... pardon. C’est la folie dehors. C’est l'Apocalypse. J’ai un mal de bloc patron.
- Faites-moi grâce de vos excuses bidon. Vous avez quinze dossiers à finir pour mardi. On ne peut se permettre aucun retard.
Le chapeau maléfique dévorait maintenant presque tout le visage de monsieur Thomas. Ses yeux se révulsèrent. Il commença à trembler puis fut pris de convulsions.

- Et enlevez-moi ce bibi atroce, vous êtes ridicule.

Léonard émergea de sa brume intérieure. Il rassembla ce qui lui restait de force pour combattre et acquiesça docilement.

Le travail devait être accompli. Il le savait plus que quiconque.



Haiti Is For Lovers présente: La route de Simmel

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La route de Simmel
(cliquez ici pour l'écouter )


Image: Nicolas Viau



Timothy Weiss - clavier
Guillaume Cloutier - guitare
Roy Nitulescu - Djembe
Julien Gagnon - voix