Route 132 Est



Route 132 Est


           On annonçait du verglas cette journée-là et elle lui avait promis de l’amener loin, très loin. Il fallait partir le plus tôt possible, quitte à s’arrêter en chemin. Dans la voiture Bob Dylan chantait No Direction Home, c’était bien vrai cette fois-ci.

            Elle raffolait des voyages improvisés. Lui commençait à s'énerver, à regretter son choix. Elle était certaine. Certaine du bien que ça ferait. Lui, il avait des chaleurs et sans prévenir, il implosa. Trop d’excès, trop de douleur, trop d’émotions. L’espace de l’habitacle lui semblait rétrécir de plus en plus.
Elle ne lui portait plus attention. Elle rêvait plutôt de voir des baleines. Une queue, une nageoire, un jet d’eau dans les airs. Peu importe. Sa vieille lubie la rassurait. Penser aux baleines la recadrait, mettait les choses en perspective. Communier avec l’immensité.

            Il a commencé par ouvrir la fenêtre, par mettre son manteau puis l’enlever. Rien ne le soulageait, les sueurs froides le tourmentaient.

— D’après toi, on arriverait où en continuant plus loin que l’océan?


- Je sais pas, il faudrait qu’on s’arrête.


- T’avais dit que t’en ferais plus.


- Je sais...

            Seul à seul avec le macadam, la voiture dévalait vers la mer, la forêt à leurs côtés. Elle ne voulait pas arrêter pour qu’il recommence. Pas tout de suite, pas la première journée. Il avait promis. Lui s’arrachait les yeux; il aurait tué pour un fixe. Juste un.

            Au bout de la route, ses mains tremblaient. Il avait essayé trois fois avant de s’injecter. Le bras troué, il est revenu s’asseoir en silence dans la voiture. Elle a fermé les yeux. Le chemin serait long, mais ils la rencontreraient bien un jour cette baleine.


- La mer est agitée. On n’en verra pas


- Je sais…